"Walt Grace desperatly hating his old place,
dreamed to discover a new place,
and bury himself alive..."
John Mayer - "Walt Grace's submarine test, January 1967"
« VOUS AVEZ
RESERVE ? »
Je ne m’en cache pas,
j’ai déjà râlé pendant mon pèlerinage. Oui, mes lignes écrites au fil du chemin
ont traduit parfois certains agacements, voir même des déceptions, par le
simple fait que le monde, même celui des pèlerins, ne tourne pas selon les
désirs d’un seul. En Espagne je m’étais délecté de foule de détails énervants,
que ma culture typiquement française n’a pas loupé de relever, ou de ressentis
parfois à l’opposé de ce que je pensais trouver au fil des kilomètres. Trop de
monde, trop faim, trop vide, trop « pas bien »… Bref, conséquence de
fatigue physique ou morale, il est humain d’avoir parfois la sensation que les
choses ne tournent pas comme elles le devraient au fil de l’aventure pérégrine,
et que cela déclenche des sautes d’humeur certes parfois exagérées.
Mais tout de même
certains états de fait me semblent parfois objectivement regrettables, et
donnent une légitimité à la déception. Sur cette variante de Rocamadour par laquelle
je remets les pieds sur Compostelle deux ans après la Voie du Puy, je constate
avec amertume une particularité dérangeante à mon sens pour l’esprit du
Chemin :
« Vous avez
réservé ? ».
J’avoue être surpris que
réserver son gîte du soir soit visiblement devenu systématique. Alors je ne
sais pas si c’est spécifique aux variantes ou si c’est devenu la norme sur
Compostelle, mais il y a deux ans rares étaient ceux qui se rassuraient sur
leur sort du soir en réservant leurs lits d’avance par téléphone ou internet. Ils
passaient même pour des « assistés » du pèlerinage. Sarcasme mis à
part, au-delà de ça c’est selon moi un principe fondamental que de s’en
remettre à la providence pour trouver un lit en fin d’étape. On arrive en
ville, on demande un lit.
Et si c’est plein on passe au suivant, ça fait partie
du jeu, mais le Chemin nous assure toujours une couche plus ou moins confortable
spontanément.
Où est l’aventure, où est le pèlerinage si Compostelle devient
une simple infrastructure de tourisme où on peut réserver d’avance ses 4
semaines de gîte du Puy à St Jean Pied de Port ? Oui cela me gêne, car
c’est dans l’inconnu qu’on révèle le meilleur de soi-même, c’est dans l’inconnu
que le Chemin de Compostelle nous parle.
Et quelle qu’en soit la raison, que ce
soit par un changement dans les habitudes pérégrines, une conséquence de
l’affluence de marcheurs ou d’un manque de gîtes, je redoute qu’une des magies
du Chemin ne disparaisse sous l’assurance inébranlable d’une nuit pré-calculée
pour tous...
Sur le terrain, l’effet
pervers des réservations est que du coup le mot se transmet de bouche à oreille
au fil des étapes disant que les gîtes sont pleins d’avance, et du coup ceux
qui habituellement ne réservent pas… réservent ! C’est le serpent qui se
mord la queue.
Ce soir, arrivé à
Labastide-Murat avec Jean-Baptiste mon compagnon d’infortune du jour, gîte
plein : réservé !
Heureusement que la providence fait son travail :
un maire sympa, et c’est une nuit à dormir par terre dans la Mairie. Au moins c’est
dans l’esprit du chemin, on est au sec et ça fait des souvenirs !
"Town Hall" avec Jean Baptiste - GoPro photo Olivier |
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