24km - Temps de marche : 7h
« We must suffer to
free our pain,
Can you help us to find
our way…”
Fields of the Nephilim –
“And there will your heart be also”
"Foggy morning" - GoPro 2 - Olivier |
« CHEMIN DE CROIX »
Un bout de chemin sans
croiser personne, et pourtant je n’étais pas seul. Celle qu’il ne faut pas
inviter lorsqu’on part avec un sac sur le dos pour Compostelle s’est rappelée
à mon bon souvenir depuis hier. Je pensais pourtant avoir évité son regard,
avoir brouillé les pistes derrière moi pour m’assurer de ne pas avoir à payer
de ma personne le prix de ce mini-pèlerinage de quelques jours. Je pensais que
mon expérience de pèlerin m’affranchissait de tout risque de la revoir en
route…
Mais malgré toute ma
prudente attention, elle s’est abattue sur moi. Et c’est par le bas du
fléchisseur du pied droit, le muscle « jambier » attaché au tibia, qu’elle
s’est accrochée à ma route, augmentant la difficulté du relief pour la journée.
Elle, c’est une tendinite de la plus belle espèce, qui cisaille le membre, sape
le moral, et détourne l’attention en prenant la première place devant le
plaisir d’une belle journée de marche en pleine nature.
Encore une fois le Chemin
me donne une leçon d’humilité. Ce n’est pas parce qu’on a parcouru 1700km il y
a quelques temps qu’on s’achète à vie l’immunité articulaire. Et voilà, malgré
mon expérience passée je me colle une tendinite là où je ne l’attendais pas.
Pourtant j’avais bien calculé mon début de parcours, avec une première journée
de 23km seulement. Je m’étais donc forcé à m’arrêter à Lacapelle-Marival en ce jour
de reprise de marche, en compensant la frustration de cet arrêt par la fierté
d’avoir été raisonnable.
Alors où donc était mon
erreur ? Peut-être en partant dès le 2eme jour pour une étape de 36km vers
Rocamadour, que la plupart des pèlerins font en deux jours ? Possible, mais
je ne pense pas que se trouve là la raison de ma punition.
"Chemin de Croix" - Rocamadour |
En analysant ce qui a pu
me mener à la tendinite, je ne peux m’empêcher de penser à la disposition si
spécifique de Rocamadour. La ville est sur 3 niveaux verticaux bien distincts :
la rue commerçante en bas, le Sanctuaire au milieu et le Château au
sommet. La ville se visite donc d’un niveau à l’autre en empruntant une rampe
piétonne abrupte en lacets, qui se parcoure de haut en bas en 15 minutes
environ.
Et je pense que c’est là que mon tendon a abandonné la lutte : à
froid et déjà fatigué des 36 kilomètres du jour, à peine réhabitué à
la marche, il a dû subir en fin de journée les montées/descentes successives
entre mon gite au sommet, le Sanctuaire et la rue commerçante où se trouve les
restaurants du soir.
Je paye aujourd’hui le
prix de ma visite, celui de mon empressement à abattre des kilomètres, celui de
mon orgueil à croire que l’ancienneté nous affranchis des erreurs de la route. C’est
un rappel à la chair, qui s’adapte à tout mais qui montre aussi les limites que
notre esprit n’accepte pas.
Ce chemin de Rocamadour
est justement nommé « Chemin de Croix », un parallèle bien trouvé
entre l’hommage liturgique et la réalité physique de son relief. Alors aujourd’hui,
de nouveau perdu sur des chemins chaotiques, entre ciel et terre sur les
falaises du Lot et du Célé, je parcours un nouveau chemin de Croix, un de plus
après celui d’il y a deux ans. La douleur de ma jambe, si elle transforme le
plaisir cristallin de la marche en savant calcul pour économiser mon corps, est
une forme de pénitence.
Et comme il y a deux ans
je l’accueille sans regrets, sans frustration, avec humilité et reconnaissance.
La rejeter serait lutter contre un courant trop fort, et subir la douleur lui
donne un pouvoir sur la volonté qui peut nous pousser à l’abandon. Alors il
faut doser mais marcher encore, au risque de perdre l’équilibre entre succès et
blessure fatale. Cette pénitence, sans laquelle la marche vers Compostelle ne
serait pas ce qu’elle est, est celle qui demande au corps et à l’esprit de
travailler en équipe pour que l’un supporte l’autre vers le repos du gite.
Alors je monte et
descends ce relief ombragé et caillouteux, le regard au loin, la douleur
contenue jusqu’à mon arrivée. Le constat médical sera pour plus tard, je ne
m’arrêterai ni aujourd’hui ni demain, car cette fois encore j’irais au bout de
mon Chemin…
"Chacun son chemin" Bonne route à toi JB. |
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